Physique du disque de planétésimaux

un équilibre fragile

a. Les différentes intéractions

L.e disque de "planètésimaux" est contient des corps solides kilométriques (planétésimaux) plongés dans un disque plus épais de gaz, en rotation autour de l'étoile centrale. Les intéractions entre les corps sont les suivantes:

Les déflexions gravitationnelles dues aux rencontres mutuelles.
Ces rencontres convertissent de l'énergie associée au mouvement orbital en mouvement aléatoire. En termes « hydrodynamiques » les interactions gravitationnelles donnent une viscosité au disque. Cette viscosité alimente le disque en énergie interne (chaleur) grâce au cisaillement keplerien.

NOTE DE COURS : le cisaillement képlerien
Le "cisaillement képlérien" est la propriètè qu'on les orbites d'avoir une vitesse orbitale variable avec la distance au corps central. En termes plus clairs, cela signifie que la vitesse de rotation varie avec la distance. Dans un disque képlérien (les planètes par exemple), la vitesse orbitale est proportionnelle à la puissance -1/2 de la distance au corps central. Ainsi, si l'on considére deux corps initialement trés proches l'un de l'autre et suivante des orbites circulaires de rayon légérement trés différents, ils ne vont pas à la même vitesse. Au bout d'un certain temps, ils finissent toujours par s'éloigner l'un de l'autre.Cela s'oppose à la rotation "solide" qu'aurait un disque de métal autour de son axe central : dans ce cas il n'y a pas de "cisaillement" car dux points
initialement proches sur le disque solide resteront toujours proches. Dans un disque képlérien, on tourne d'autant plus vite que l'on est proche du centre.
C'est une propriété particulièrement importante des disque képlérien car s'il y a cisaillement il a inévitablement frottement. En effet, considérons deux anneaux de matiere concentriques,et qui se touchent. Celui  à l'intérieur tourne plus vite que celui qui est à l'extérieur. Sur la ligne de contacte entre les deux, des particules lentes (appartenant à l'anneau externe) touchent et rentrent en collision avec des particules rapides (appartenant à l'anneau interne). Ces rencontres et collisions sont à l'origine d'une viscosité (qui n'est autre qu'un transfert de quantité de mouvement), qui se traduit par un transfert de chaleur. Par exemple quand je frotte une surface (mouvement lent) avec du papier de verre (mouvement rapide) il se crée de la chaleur. C'est plus ou moins le même phénoméne.

Les collisions physiques inélastiques.

Elles peuvent se traduire soit par une accrétion, soit par un rebond, soit par une fragmentation (catastrophique ou non). L'issue d'une collision est déterminée par la vitesse de rencontre, par la masse et par les propriétés mécaniques des corps en présence. A l'instar des déflexions gravitationnelles, les collisions convertissent de l'énergie associée au mouvement orbital en mouvements aléatoires (énergie interne du disque), mais avec une efficacité plus faible que les déflexions gravitationnelles (pour des rencontres « classiques » à faible vitesse). En effet, une partie de l'énergie associée aux mouvements aléatoires est transférée aux planétésimaux eux-mêmes, sous forme d'énergie thermique, qui sera ensuite rayonnée. Les collisions remplissent donc un double rôle de « réchauffement » et de « refroidissement » du disque. Prés de l'équilibre thermodynamique, c'est avant tout le mécanisme de «refroidissement » qui domine.

Le frottement avec le gaz
Le frottement des planétésimaux sur le gaz (qui a une vitesse orbitale différente) se traduit par une dissipation de l'énergie interne (refroidissement) ainsi qu'orbitale (modification des orbites). Les rôles de ces différentes interactions sont résumés dans la suivante.
 
 
 

Diagramme des transferts d'énergie dans le disque de planétésimaux. L'énergie interne désigne l'énergie d'agitation des planétésimaux autour de leur position moyenne (un peu comme la chaleur du disque de planétésimaux). L'énergie thermique désigne celle associée à la température physique de planétésimaux (celle de leur surface par exemple). Cette dernière est évacuée ultérieurement par rayonnement (corps noir) dans l'infra-rouge.

 

b. Les vitesses relatives dans un disque de planétésimaux


Le taux d'accrétion des corps est intimement lié à leur vitesse relative (ou vitesse d'agitation) car elle détermine la probabilité d'impact entre deux corps et l'issue d'une rencontre. Il est donc de première importance d'en avoir une estimation. L'interaction du gaz avec les planétésimaux est la partie la plus simple du problème et peut être résolue avec les équations de Gauss. Les corps dont la taille est inférieure au kilomètre voient leur inclinaison et excentricité (inclinaison et excentricité mesurent « l'écart » à l'orbite circulaire)  diminuer rapidement et donc  favoriser les rencontres à faible vitesse.
Cependant, l'effet des collisions et des déflexions gravitationnelles est beaucoup plus difficile à estimer.  La manière la plus rigoureuse de traiter le problème est de s'inspirer de la théorie cinétique des gaz, et de décrire le système à l'aide de la fonction (f) de densité dans l'espace des phases : f(x,v,t) dr dv est le nombre de corps à l'instant t dans le volume d'espace des phases drdv centré sur le point (r,v). Cette approche a été adoptée par de nombreux auteurs (Goldreich et Tremaine 1978 ; Barge et Pelat 1990,1991 ; Hornung et al. 1985). Le point de départ consiste à poser l'équation de Boltzman (ou équation de Vlasov collisionnelle), en choisissant un opérateur décrivant les collisions physiques et un autre décrivant les déflexions gravitationnelles. L'équation d'évolution de f  prend la forme suivante (faussement simple) :
 
 
 
Equation 1

où D est la dérivée totale de f (incluant le potentiel). Le premier problème vient du choix des opérateurs de collisions et de déflexions qui peuvent être très complexes, en particulier dans le cas des rencontres gravitationnelles. L'équation 1. est ensuite multipliée successivement par  1, V, V^2,V^3, … et puis moyennée en intégrant sur les vitesses. On obtient ainsi une série infinie d'équations qui décrivent l'évolution des différents moments de la fonction de distribution des vitesses f. Comme on ne peut traiter une hiérarchie infinie d'équations, une « relation de fermeture » est nécessaire pour ne prendre en compte qu'un nombre fini d'équations.

Cette approche, la plus généraliste, mène très rapidement à des calculs d'une grande complexité dont l'interprétation physique est particulièrement ardue. De plus, pour les besoins de la relation de fermeture, un certain nombre d'hypothèses doit être introduit (par exemple un faible libre parcours moyen). Celles-ci limitent finalement le champ d'application de cette approche. Pour simplifier cette dernière, une technique souvent utilisée à l'heure actuelle consiste à supposer que la vitesse moyenne locale est proche de la vitesse keplerienne circulaire et que les orbites sont toutes déphasées (ce qui est parfaitement raisonnable quand les perturbations gravitationnelles sont faibles). Dans ce cas, la seule variable indépendante est la vitesse d'agitation locale. Cette approche a été utilisée historiquement par Safronov, puis plus récemment par de nombreux auteurs (Wetherill et Stewart 1988, Ohtsuki 1999, Stewart et Ida 2000, à titre d'exemples). Pour les besoins de ce chapitre d'introduction, nous estimons la vitesse relative d'équilibre en nous basant sur une démonstration simplifiée (Greenberg 1982) mais qui garde l'essence des phénomènes en jeu.

Supposons que deux corps de même masse m se rencontrent avec une  vitesse relative v. Il nous faut calculer la variation de magnitude de v, donnée par  dans le cas de rencontres gravitationnelles et de rencontres collisionnelles. Pour une rencontre gravitationnelle, nous nous plaçons dans l'hypothèse (très approximative) où la déflexion peut être modélisée par une diffusion à deux corps, du type Rutherford :
 
 
 
Equation 2
Equation 3

où v est la vitesse relative à l'infini, est la magnitude de la variation de v (projetée sur un axe), b est le paramètre d'impact, G est la constante de gravitation universelle.Pour prendre en compte toutes les interactions de la particule avec le disque, il faut sommer sur tous les paramètres d'impacts. De plus, le nombre de corps rencontrés en un temps dt avec un paramètre d'impact db et une vitesse relative v est :, où s est la densité surfacique de corps. Nous négligeons ici l'épaisseur du disque devant son extension radiale, sur laquelle est intégré b. On obtient une équation d'évolution de v^2:
 
Equation 4

Nous nous plaçons donc dans le cas où v est la seule vitesse différentielle keplerienne( cas où il n'y a aucune agitation thermique et où seule demeure la roration diférentielle). Entre deux points espacés de la distance b, la vitesse relative v est approximativement b [dVk/dr] = n b/2 où n est la fréquence orbitale et Vk est la vitesse orbitale keplerienne. L'intégrale (Équation 4) donne alors :
 
Equation 5

 

où sont omises les constantes multiplicatives, qui ne modifient pas l'ordre de grandeur. Nous voyons dans l'équation 5 que le cisaillement keplerien produit de l'énergie interne à un taux constant qui dépend uniquement de la masse des corps, de la densité et de la vitesse orbitale locale. De leur côté, les collisions dissipent une partie de l'énergie associée aux mouvements aléatoires. Lors d'une collision la variation de vitesse est (à un facteur près) égale à v. Le facteur multiplicatif correspond au coefficient de restitution de la collision. Il est en général de l'ordre de 50%. Le nombre de collisions en un temps dt est donné par A v / h où h est l'épaisseur du disque, qui est de l'ordre de v/n, A est la section efficace (~ pi r^2 , en supposant que les vitesses relatives sont de l'ordre de la vitesse d'évasion). Le taux de perte d'énergie due aux collisions est alors :
 
Equation 6

En écrivant l'équilibre énergétique, on obtient une estimation de la vitesse d'équilibre (Greenberg 1982) :
 
Equation 7

où  et sont respectivement la densité du corps et la densité du soleil, et où R* est le rayon du soleil. Ce calcul très simplifié nous donne à 1 unité astronomique :
 
Equation 8

Cette estimation est un peu forte, cependant elle nous indique que les vitesses relatives sont globalement de l'ordre de la vitesse d'évasion. En effet des calculs rigoureux et plus réalistes, comme ceux menés par Safronov (1969) , Wetherill et Stewart (1989), Barge et Pelat (1990) s'accordent sur ce point crucial :

Les vitesses relatives à l'équilibre dans un disque de planétésimaux sont de l'ordre de la vitesse d'évasion des corps dominants (~10 m/s).

Ce résultat très important est confirmé par les simulations numériques (Aarseth et Palmer, 1993 par exemple). Pour des vitesses d'évasion typiques de l'ordre de 10 m/s, les excentricités et inclinaisons des planétésimaux sont de l'ordre de quelques 10^-4 (entre 1 et 3 unités astronomiques) ce qui est très faible (environ quelques centièmes des excentricités des planètes actuelles). Pour caractériser l'état d'excitation du disque, on introduit donc naturellement un paramètre, , appelé " paramètre de Safronov " qui est une mesure du rapport des vitesses relatives aux vitesses d'évasion des corps :
 
Equation 9

Comme nous allons le voir maintenant, la croissance des planétésimaux dépend de manière cruciale de ce paramètre.

C. L'accrétion des planétésimaux : l'effet Boule de Neige

Nous nous intéressons ici à la vitesse de croissance des planétésimaux et présentons par un calcule simplifié un mécanisme " clef " : l'effet "Boule de Neige".
Le taux de rencontres entre une particule 1 et une population de particules 2, de densité spatiale est :
 
Equation 10 

où A2 est la section efficace, et V12 la vitesse relative des deux populations. En exprimant explicitement A, l'équation 10 devient :
 
Equation 11

où r1 et r2 sont le rayon des particules 1 et 2 respectivement, et où Ve(1) est la vitesse d'évasion de la particule 1. Nous nous plaçons dans l'hypothèse simple où un gros corps (de masse m1 et de rayon r1) accrète des corps beaucoup plus petits (de masse m2 et de rayon r2) La densité spatiale de ces derniers est . Nous faisons de plus l'hypothèse d'accrétion parfaite, c'est à dire le cas très optimiste où chaque rencontre se traduit par une accrétion. Les taux d'accrétion s'écrivent de manière générale :
 
Equation 12. a
Equation 12. b

Le taux d'accroissement relatif des deux populations est donc donné par :
 
Equation 13

où R=r1/r2 >> 1; 1 et Les vitesses d'agitation dans le disque sont indirectement reliées à q qui nous indique quels sont les corps dominants. Si q < 3 alors la majeure partie de la masse est dans les gros corps. Dans le cas contraire, la masse est contenue dans les petits corps. De nombreuses simulations numériques (Greenberg 1978, Weidenshilling et al. 1997 par exemple) montrent que la masse du système demeure toujours dans les corps de petite taille, correspondant à la population 2 dans notre modèle simplifié. Il vient donc V << Ve(1) (où V est la vitesse relative, et V12~V22). En conséquence q1 >> 1 et q2~1. En remarquant de plus que q1=q2 x R2 (car q1 µ r12), l'Équation 13 se transforme ainsi :2 et sont les paramètres de Safronov des deux populations ( ce qui est une entorse à la définition de ce paramètre, car historiquement n'est défini que par rapport aux gros corps). A partir de l' Équation 13 nous pouvons distinguer deux régimes de croissance possibles. Si le terme de droite est inférieur à 1, alors le taux de croissance des deux populations tend asymptotiquement vers la même valeur, ce qui correspond à une croissance ordonnée (décrite par Safronov). Par contre, si le terme de droite est supérieur à 1, les corps grandissent d'autant plus rapidement qu'ils sont massifs, ce qui est un mécanisme instable et aboutit à l'effet " Boule de Neige ". Les vitesses relatives dans un disque de planétésimaux sont de l'ordre de la vitesse d'évasion des particules qui sont dynamiquement dominantes. La masse de ces dernières nous est donnée par la distribution de taille, qui peut être en général décrite par une loi de puissance :
 
Equation 14

Les vitesses d'agitation dans le disque sont indirectement reliées à q qui nous indique quels sont les corps dominants. Si q < 3 alors la majeure partie de la masse est dans les gros corps. Dans le cas contraire, la masse est contenue dans les petits corps. De nombreuses simulations numériques (Greenberg 1978, Weidenshilling et al. 1997 par exemple) montrent que la masse du système demeure toujours dans les corps de petite taille, correspondant à la population 2 dans notre modèle simplifié. Il vient donc V << Ve(1) (où V est la vitesse relative, et V12~V22). En conséquence 1 >> 1 et 2~1. En remarquant de plus que 1=2 x R^2 (car 1 proportionnel à r1^2), l'Équation 13 se transforme ainsi :
 
Equation 15

Le terme de droite dans l'Équation 15 est très supérieur à 1, donc le plus gros corps grossit de plus en plus rapidement par rapport aux plus petits. C'est la clef de l'effet "Boule de Neige". Ceci s'explique qualitativement d'une manière aisée : quand le plus gros corps n'impose pas sa dynamique au système (il ne contrôle pas les vitesses relatives), les vitesses de rencontres demeurent très inférieures à la vitesse de libération de ce dernier. Sa section efficace gravitationnelle est donc très grande. Il accrète donc très efficacement les petites particules de son environnement. En retour, sa masse augmente ainsi que sa section efficace. Le mécanisme s'emballe alors et le plus gros corps se " détache " progressivement de la distribution de masse : il devient l'unique représentant de la population la plus massive du système. Depuis, d'autres approches confirment également l'existence du mécanisme d'accrétion Boule de Neige (Spaute et al. 1991; Wetherill Stewart 1989, Stewart et Ida 1999, Kokubo et Ida 2000). Les temps caractéristiques de formation d'embryons planétaires à 1 u.a sont de l'ordre de quelques 10^4 à 10^5 ans (voir Figure 6) soit environ 1000 fois plus courts que dans le cas de " l'accrétion ordonnée " (premier modèle d'accrétion, décrit initialement en 1969 par Safronov). Une simulation numérique très récente (N-Corps) donne un temps de formation de 500 000 ans pour créer un corps de 10^26 g à 1 u.a (Kokubo et Ida, 2000). Wetherill et Setwart (1989) ont montré également que l'équipartition de l'énergie entre les populations de différentes masses joue un rôle déterminant pour le déclenchement de l'accrétion Boule de Neige. En effet, si un corps de masse m1 et de vecteur vitesse V1 rencontre un corps de masse m2 et de vitesse V2, on peut montrer simplement que le bilan de toute interaction sans perte d'énergie (ce qui est le cas d'une rencontre gravitationnelle) tend à équipartitionner l'énergie cinétique totale entre les deux corps, de sorte que M1 V1^2 = M2 V2 ^2 ( prodiot de la masse par le carre de la vitesse). Ainsi, les vitesses d'agitation des plus gros corps diminuent et les plus petits corps sont accélérés. Ce mécanisme d'équipartition s'appelle également "friction dynamique". En conséquence, les rencontres impliquant les plus gros corps se feront à une vitesse beaucoup plus faible que les rencontres entre petits corps, ce qui accroît d'autant le rapport des sections efficaces, et donc le taux de collisions. Encore une fois, les plus gros corps sont favorisés, et les plus petits sont ralentis dans leur croissance. Ohtsuki et Ida (1990) confirment indépendamment que l'accrétion Boule de Neige est favorisée si la vitesse d'agitation est une fonction décroissante de la masse, ce qu'implique la friction dynamique.

Evolution de la distribution de taille au cours de l'accrétion des planétésimaux à l'aide d'une simulation statistique. On voit clairement qu'en quelques 10^4 ans un embryon massif se sépare de la distribution de taille. (Wetherill et Stewart 1989)