La formation des planètes géantes gazeuses
Un scénario controversé...
Nous avons vu jusqu'ici comment les planètes terrestres
se forment. Nous nous intéressons maintenant au planètes
géantes qui ont la particularité de posséder une atmosphère
de gaz très massive, qui peut représenter plus de 90% de
leur masse totale. Les scénarios de formation des planètes
géantes sont divisés en deux grandes familles: le modèle
de " l'instabilité gravitationnelle " et celui du " cœur solide
". Ce dernier, bien que présentant des difficultés majeures
(en particulier en ce qui concerne les échelles de temps), semble
s'être imposé face au modèle d'instabilité gravitationnelle
pour les planètes géantes de notre Système Solaire,
mais la question demeure encore ouverte. Nous décrivons ci-dessous
les grandes lignes des deux approches.
a. Instabilité de Jeans
Dans le scénario de formation par instabilité,
une planète géante se forme par un mécanisme analogue
à celui d'une étoile. Le disque protoplanétaire, s'il
est initialement assez massif, peut devenir gravitationnellement instable
(instabilité de Jeans), s'effondrer et se fragmenter en corps dont
la masse typique est de l'ordre de celle Jupiter (Cameron et al 1985, Boss
1996). Un tel mécanisme est capable de former des corps de la masse
de Jupiter (10^-3 masse solaire, ou 300 masses terrestres) en quelques
1000 ans. Bien qu'expliquant de manière naturelle la présence
de planètes géantes dans notre Système Solaire, ce
scénario présente deux difficultés majeures. En effet,
pour que l'instabilité se déclenche, la nébuleuse
initiale doit être massive, de l'ordre de 1 masse solaire, ce qui
est 100 fois supérieur à la " nébuleuse de masse minimum
" (Hayashi 1981). Il faut donc un mécanisme capable d'éliminer
99% de la masse totale du Système Solaire. Ceci semble assez improbable
(mais peut-être pas impossible, au vu de la faible masse de la ceinture
d'astéroïdes par exemple). Mais l'objection majeure concerne
les abondances atmosphériques en éléments lourds.
En effet, selon ce scénario, la composition des atmosphères
des planètes géantes devrait être proche de celle de
la nébuleuse primitive, qui est également proche de la composition
solaire. Or on note un fort enrichissement des planètes géantes
en éléments lourds (tableau ci dessous), qui ne semble pas
pouvoir être expliqué dans le cadre du scénario d'instabilité
gravitationnelle .
Planète |
Masse d'éléments lourds
en masses terrestres |
Masse de gaz (H+He)
en masses terrestres |
Fraction d'éléments
lourds |
Enrichissement par
rapport au Soleil |
Jupiter |
10 à 30 |
290 |
6% |
3 |
Saturne |
15 à 25 |
70 |
20% |
10 |
Uranus |
10 à 16 |
4 |
75% |
38 |
Neptune |
10 à 16 |
4 |
75% |
38 |
Abondances en éléments lourds des planètes
géantes
NOTE DE COURS: Qu'est ce que l' Instabilité
de Jeans ?
L'instabilité de Jeans est le mécanisme par lequel un
nuage de gaz interstellaire peut s'éffondrer sous son propre poids
et donner naissance à des étoiles. C'est la gravité
qui est à l'origine de ce phénoméne. En effet, considérons
un nuage de gaz pesant. Son équilibre interne résulte de
l'équilibre entre deux forces : la gravité qui tend à
le contracter sur lui même, et la pression, engendrée par
sa chaleur, qui tend à le dilater(par exemple, quand un pneu de
voiture est chaud, il a tendance à se dilater). Le plus souvent
ces deux mécanismes agissent en sens contraire et s'équilibrent
pour former une structure stable comme une étoile. Cependant, si
le nuage de gaz est vraiment trop massif, ou trop dense, la gravité
l'emporte sur les forces de pression : la moindre perturbation peut engendrer
une contraction locale trés forte. Dans la réalité,
des perturbations sont toujours présentes. Ainsi, quand le nuage
de gaz a atteint sa densité critique, il se fragmente en milliards
de plus petits grumeaux qui individuellement se contractent trés
vite. Ces derniers augementent alors leur pression interne, qui finit par
contrebalancer la force de contraction gravitationnelle. Une étoile
ess à l'origine une de ces grumeaux. Sa composition chimique, au
début de son histoire au moins, est exactement celle de la nébuleuse
de gaz initiale.
b. Modèle du Cœur Solide
Formation d'un cœur solide
Cette forte abondance d'éléments lourds dans l'atmosphère
des planètes géantes semble naturellement être expliqué
par le scénario " concurrent " dit du " cœur solide " qui prévaut
aujourd'hui pour les planètes géantes de notre Système
Solaire (pour les planètes extra-solaires du type "Jupiter chaud"
c'est peut-être bien l'instabilité de Jeans, le bon mécanisme).
Dans ce scénario, les planètes géantes se forment
en deux temps. Dans un premier temps, un gros embryon de silicates et de
glaces (de quelques masses terrestres à quelques dizaines de masses
terrestres) se forme rapidement par accrétion
Boule de Neige, comme dans le cadre de la formation des planètes
telluriques. Les modèles d'évolutions (Wetherill 1992, Lissauer
et al. 1995) suggèrent que dans le système externe, les embryons
peuvent être de 10 à 1000 fois plus massifs que dans le système
interne. Ceci est le résultat de l'effet combiné de l'augmentation
de la masse des planétésimaux au-delà de 4.5 u.a,
en raison de la condensation de l'eau, et de l'augmentation de la masse
disponible dans la zone d'alimentation des embryons qui croît proportionnellement
au cube de la distance au Soleil (voir figure plus loin).
 |
Masse des embryons planètaires
en fonction de leur position dans le disque protoplanétaire. Remarquer
l'accroissement avec la distance au Soleil. Pour mémoire, la masse
de la Terre est de 6 x 10^27 grammes. D'aprés Wetherill (1992). |
Accrétion d'une enveloppe de gaz
Le mécanisme par lequel une grande masse de gaz peut s'accumuler
autour d'un embryon planétaire a été mis en évidence
au début des années 80 par Mizuno (Mizuno et al. 1978) .
Ce dernier considère l'équilibre d'une enveloppe gazeuse
reposant sur un cœur solide et relié à la nébuleuse
environnante. En faisant varier la masse du cœur solide, Mizuno montre
qu'il existe une masse critique au-delà de laquelle il n'est plus
possible de construire une enveloppe en équilibre hydrostatique.
Dans ces conditions, l'enveloppe de gaz se contracte rapidement (voir Figure
8). L'accrétion devient exponentiellement rapide : en un temps court
(qui n'est pas estimé avec précision, mais plutôt extrapolé
à partir des premiers instants, voir Pollack 1996 par exemple) une
très grande quantité de gaz est accrétée (plusieurs
dizaines à plusieurs centaines de masses terrestres). La masse critique
est en général atteinte lorsque la masse de gaz est égale
à celle du cœur rocheux (Lissauer et al. 1995; Terquem et al. 1999).
Dans le cas des planètes géantes, cette masse est environ
de 10 à 15 masses terrestres (Pollack et al. 1996). La Figure 9
montre le résultat d'un calcul récent prenant en compte de
manière couplée l'accrétion des planétésimaux
et du gaz. En environ 5 105 ans, le cœur solide cesse de grandir par accrétion
Boule de Neige, en raison du vidage de sa zone d'alimentation. Il accumule
ensuite progressivement une enveloppe de gaz, augmentant sa masse et élargissant
en conséquence, sa zone d'alimentation. La planète entre
alors dans une période où l'accrétion du gaz et des
planétésimaux se régulent mutuellement : l'enveloppe
tend à se contracter en se refroidissant, mais cette perte d'énergie
est contrebalancée par l'apport d'énergie gravitationnelle
des planétésimaux lors de leur chute sur la planète.
Lorsque la masse critique du cœur solide est atteinte (environ 15 masses
terrestres) au bout de 8 millions d'années l'accrétion du
gaz devient alors exponentielle et la protoplanète devient une géante
gazeuse. Bodenheimer et Pollack (1986) montrent que la masse critique du
cœur solide est très sensible au taux d'accrétion des planétésimaux.
En effet, les planétésimaux absorbés par la protoplanète
en réchauffent l'atmosphère. Cette énergie thermique
sert à contrebalancer le refroidissement des couches supérieures
qui rayonnent leur énergie thermique. L'accrétion rapide
du gaz commence quand se crée un déséquilibre entre
l'énergie perdue par rayonnement et l'énergie gagnée
par capture de planétésimaux. La Figure suivante illustre
ceci.
D'après Terquem et Papaloizou 1999.
Masse totale de l'embryon (gaz +coeur de silicate) en fonction de la masse
du cœur rocheux pour que l'enveloppe de gaz soit en équilibre hydrostatique
sur le cœur . Le taux d'accrétion de gaz est de 10-7 Mt /an. Les
différentes courbes sur un même graphique correspondent à
des taux d'accrétion de planétésimaux différents
(de gauche à droite, de 10^-11 à 10^-6 Mt par an ). La masse
critique est atteinte quand la courbe se retourne. On remarque que lorsque
le taux d'accrétion de planétésimaux est plus faible,
la masse critique est atteinte plus rapidement.Lorque
la courbe se retourne, l'instabilité hydrodynamique se met en place.
Notation : 1 Mt = 1 masse terrestre
Cliquez dur l'image pour l'agrandir |
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Petit résumé en image du modèle
du coeur solide
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1. En bleu est représenté
le gaz, les petits cercles marrons sont les planétésimaux,
et le gros cercle au centre est l'embryon rocheux de la planète
géante. Tout d'abord, cet embryon grandit par effet Boule-de-Neige,
en attirant tous les planétésimaux qui l'entourent. |
2. Au cours de sa croissance l'embryon accrète
une enveloppe de gaz. Quand sa masse devient suffisante l'enveloppe de
gaz s'éffondre rapidement sur le coeur rocheux. Ce dernier acquiert
alors une atmophère trés massive. Il devient une protoplanète
géante. |
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3. A la fin nous obtenons une planète géante,
composée d'une enveloppe de gaz trés massive, et d'un petit
coeur de roche central. Ultérieurement ce dernier pourra se dissoudre
partiellement dans l'enveloppe de gaz. |
Ce scénario explique naturellement la présence de
plusieurs masses terrestres de silicates dans les planètes géantes.
Le problème majeur concerne les échelles de temps de formation.
Pour une nébuleuse dont la densité est 5 fois supérieure
à celle de la nébuleuse de masse minimum, le temps de formation
de Jupiter est d'environ 8 10^6 ans, alors que le temps de dissipation estimé
de la nébuleuse est environ 10 millions d'années. Pollack et al.
(1996) montrent que de faibles variations de la densité de la nébuleuse
(qui n'en modifient pas l'ordre de grandeur) suffisent à faire varier le
temps de formation par un facteur 10. En adoptant la densité de la nébuleuse
de masse minimum, le temps de formation de Jupiter est d'environ 10^8 ans, ce
qui est beaucoup plus long que le temps de dissipation de la nébuleuse
initiale et rendent ce scénario improbable. C'est pour cette raison que
certains auteurs comme Lissauer (1987, 1995) suggèrent que la nébuleuse
protoplanétaire a été entre 3 et 10 fois plus massive que
la nébuleuse de masse minimum. La détermination de cette densité
est donc un objectif majeur de la planétologie actuelle car elle conditionne
la chronologie de formation des planètes. En ce qui concerne Uranus et
Neptune, il ne semble pas possible qu'elles aient pu atteindre leur masse critique
avant la dissipation de la nébuleuse. Ainsi, elles auraient pu être
stoppées dans leur processus de formation. Ce dernier point est conforté
par le fait que le rapport Z/H (rapport de la masse totale d'atomes lourds sur
la masse d'atomes legers) est beaucoup plus grand pour Uranus et Neptune que pour
Jupiter et Saturne.
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D'après Pollack et al. 1996. Evolution couplée
de la masse du cœur et du gaz pour Jupiter. La ligne en pointillée
est la masse de gaz, la ligne en trait plein est la masse du cœur de roches.
La ligne en traits et points alternés est la masse totale du proto-Jupiter.
Remarquer l'emballement de l'accrétion du gaz à 8 millions
d'années. L'axe des Y est en masses terrestres.
Cliquez sur l'image pour l'agrandir |
Des travaux récents (Guillot 1999) jettent encore une ombre supplémentaire
sur ce scénario. A l'aide d'une modélisation sophistiquée
des intérieurs de Jupiter et de Saturne, Guillot montre qu'il semble
que la masse du cœur de silicates de Jupiter soit inférieure (entre
0 et 10 masses terrestres) à celle prédite par le modèle
du cœur solide (~10 à 20 masses terrestres) . Nous voyons que le
débat sur le mécanisme de formation des planètes géantes
est encore loin d'être tranché.

