3. Copernic (1473-1543) et Kepler (1571-1630)

 

 

A cette époque où le concept même de gravitation n'existe pas encore - il naîtra de l'étude et de la compréhension du mouvement des planètes- deux hommes vont, dans un quasi-anonymat, de leur vivant, révolutionner la vision Aristotélicienne du monde.

 

3.1 Copernic

 

Copernic est d'origine polonaise. Il étudie à Florence en 1514, le droit canon, la médecine, le Grec, et s'intéresse à l'astronomie.

Plusieurs problèmes motivent ses recherches dans se domaine  : premièrement, le Calendrier de l'époque (le calendrier Julien) pose de plus en plus de problèmes : construit sur le mouvement des planètes prédit par le système de Ptolémée, il se décalait de plus en plus. Ainsi les saisons commencent à se déplacer dangereusement. Cela pose problème énorme pour l'agriculture bien évidemment, mais également pour les dates des fêtes religieuses, et quasiment tous les types d'activités humaines (Ce calendrier sera réformé seulement en 1582 par le Pape Grégoire XIII).

L'autre problème, plus académique, mais qui déchaîne les passions au sein de l'Université italienne, est celui du " point équant " que le maître de Copernic lui-même (Rhéticus) avait qualifié  "d'impossibilité que la nature elle-même ne peut accepter'".

De plus, le nombre d'épicycles devenait de plus en plus impressionnant, voire rendait les calculs impossibles. La rumeur courait cependant que si on plaçait le soleil au centre du système de Ptolémée, le nombre d'épycicles serait considérablement réduit... A cette époque, sans cependant remettre en cause Aristote, plusieurs personnes se posaient publiquement la question de la position de la Terre dans l'univers. De plus, certains philosophes grecs dont Aristote parle lui-même, comme Aristarque, avaient proposé un système où le Soleil était au centre.

 

Un argument plus mathématique soutenait également cette hypothèse : on avait remarqué que le mouvement des planètes se décomposait toujours comme la somme du mouvement du Soleil, et d'un autre mouvement propre à la planète elle-même. Ainsi, George Peurbach, astronome qui traduisit les oeuvres arabes, écrit : " il est clair que chacune des six planètes partage quelque chose avec le Soleil, et son mouvement, est le miroir et la mesure du mouvement des planètes".

 

Copernic a exploré le premier cette voie, en étudiant en profondeur, le cas d'un système Héliocentrique. C'est en Pologne, qu'il écrit son ouvrage désormais célèbre : "De revolutionibus" , soit :"De la révolution des sphères célestes".
Extrait de 'a perfit description of the  

Caelestial Orbes, 1576 

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On ne sait que peu de choses sur le développement de cette oeuvre. L'ouvrage se divise en deux parties : Une première, dans laquelle Copernic explique en quoi l'hypothèse de l'héliocentrisme en intéressante. Elle avait l'avantage de simplifier considérablement les calculs. La nouvelle vision du système solaire était remarquablement simple et géométriquement belle: Des cercles concentriques centrés sur le soleil sur lesquels les objets pouvaient être rangés par ordre croissant de distance au soleil. De plus, certains faits troublants pouvaient être expliqués simplement . Pourquoi Mercure et Venus ne peuvent-elles être observées qu'en début et fin de nuit, alors que Mars, Saturne et Jupiter sont visibles toute la nuit. L'explication est désormais simple : ces deux planètes sont les plus proches du Soleil, et le suivent par conséquent dans son mouvement. On ne peut donc les observer qu'au voisinage de celui-ci. L'alternance du jour et de la nuit s'explique également par un mouvement de rotation de la Terre sur elle-même.

 
 

'De révolutionibus, publié en 1551, ne fit pas grand bruit, soufrant beaucoup de sa complexité mathématique (Il fut cependant connu dans les milieux universitaires et les plus intellectuels). En outre l'éditeur ,prudent, spécifiait en début d'ouvrage, qu'il ne fallait pas prendre l'hypothèse héliocentrique comme vraie, mais plutôt comme un beau modèle mathématique qui simplifie les calculs.

 
 Image d'une édition originale de 'De revolutionibus', ayant appartenu à Erasmus Reinhold, un des premiers étudiants de Copernic.  
 

Enfin, certaines implications du modèle de Copernic paraissaient étranges à l'époque, et Copernic lui-même n'avait pas de réponses satisfaisantes : Si la Terre tourne sur elle-même et si elle voyage à  grande vitesse à travers l'espace, comment se fait-il que nous ne sentions rien sur Terre ? En fait, on ne connaissait pas encore à l'époque le principe d'inertie (découvert un peu plus tard par Galilée).

 

Finalement, Copernic replace le Soleil au centre du Système Solaire, donne une sorte de "carte" de l'univers, mais en ce qui concerne le mouvement des planètes, cela ressemble toujours fortement à Ptolémée : orbites circulaires, lois géométriques et numérologiques. On ne sait toujours pas pourquoi les planètes ont un tel mouvement, on ne connaît toujours pas les lois qui les gouvernent. Et ces lois, si elles existent, semblent totalement différentes de celles qui gouvernent les mouvements des corps sur Terre. Un élément de réponse à ces dernières questions va alors être apporté par Kepler.

 

3.2 Tycho Brahe et Kepler

Pour construire son modèle, Copernic avait utilisé les observations et les tables Astronomiques de l'époque, de précision modeste. Or des tables astronomiques plus précises que les tables dites Alfonsines (construites sur le modèle de Ptolémée) , avaient été construites à partir de son modèle héliocentrique.

 

En 1563, à l'âge de 16 ans, Tycho Brahe, enfant d'une famille noble danoise observa une conjonction entre Saturne et Jupiter (c'est à dire qu'elles sont très proches l'une de l'autre dans le ciel), et remarqua que les tables Alfonsines prédisaient cet événement avec un mois d'erreur, et les tables de Copernic, elles, avec seulement deux jours. Naquit alors chez lui un projet, qui devint l'oeuvre de sa vie : construire une astronomie avec des tables extrêmement précises.

 
En 1576, le roi du Danemark lui offre une petite île (Hven) où il pourra installer un observatoire astronomique et cartographier précisément le ciel. C'est le premier grand observatoire européen qui est construit. Pendant plus de 20 ans, Tycho Brahe construit des instruments de mesure de précision croissante (des sextants) améliorant de manière décisive les données de l'époque. Sur la base de ses observations et avec l'aide de Kepler, furent établies les tables astronomiques Rudolphines, les plus précises désormais. Cette augmentation de la précision aura un caractère crucial pour la découverte des lois du mouvement des planètes comme nous allons le voir. 

  

Plan de l'observatoire de l'île de Hven (mer baltique)

 

Tycho Brahe fera, de plus, une découverte astronomique importante, qui, sans remettre en cause le monde Aristotélicien, ouvre une brèche supplémentaire : en 1577, une comète apparut. Ce phénomène était alors expliqué comme une perturbation atmosphérique selon la théorie des quatre éléments (voir chapitre I) encore en vigueur à l'époque. Tycho Brahe s'intéresse alors à, la hauteur dans le ciel de cette comète, et après mesure, il s'aperçoit que la comète n'est pas dans l'atmosphère, mais parmi les planètes et qu'elle traverse sans difficulté les sphères célestes. La conclusion s'impose alors à lui : les sphères célestes n'existent pas. Cette découverte de Tycho Brahe eut une influence profonde sur les générations suivantes, en particulier sur Johanne Kepler, (qui devint son assistant en 1600, un an avant sa mort). Mais, si les sphères célestes n'existent pas, comment la Terre se déplace-t-elle ? Si cette question demeure sans réponse, le mouvement de rotation de la Terre sur elle-même devenait cependant plus facile à accepter, puisque la Terre n'était plus "attachée" à rien.

 
Image de la comète de 1577. La queue s'étend au dessus de la Lune et de Saturne. L'artiste est représenté avec son assistant. 

Cliquez sur l'image pour la voir en plus grand 

 

Enfin, entre temps, en 1582, le pape Grégoire XIII instaure le calendrier Grégorien (celui encore utilisé aujourd'hui), dont l'objectif est de faire coincider précisément l'équinoxe de printemps le 21 mars, ce qui revient à retirer dix jours du calendrier Julien, alors en usage.

 

Johanne Kepler est né près de Stuttgart en 1571. Il suit des études universitaires de Mathématiques. Son intérêt pour l'astronomie s?éveilla tôt : à  25 ans il avait déjà publié un ouvrage intitulé : "Mystères Cosmographiques". Il y propose un nouveau système héliocentrique, comme celui de Copernic, mais dans lequel, il introduit un élément géométrique très personnel : Les planètes sont reliées aux polygones fondamentaux (le cube pour Saturne, le Tétraèdre pour Jupiter etc.) inscrits dans des sphères. Les formes des polygones imposent les rayons des sphères et sont dans un rapport égal aux périodes de révolution des planètes. On voit bien ici que la volonté de "géométriser" l'univers est encore grande. Séduit par ce travail, Tycho Brahe appelle Kepler à son service, et ce dernier devient assistant en 1600.

 
Portrait de Johanne Kepler (jeune homme) 

(cliquez sur l'image)

Diagramme du système solaire extrait de 'mystères cosmographiques' où s'imbriquent les 5 polygone fondamentaux et les sphères.
 
 

Etudiant les positions astronomiques très précises établies par Tycho Brahe, Kepler changea alors d'axe d'investigation : au lieu de supposer que les trajectoires des planètes sont des combinaisons de cercles, et, au lieu d'essayer de trouver la meilleure combinaison pour reproduire les observations, finalement il tente directement de trouver la forme des orbites des planètes. Pour cela, il utilise les positions de Mars relevées dans le ciel. Heureusement, les mesures de Tycho Brahe étaient maintenant suffisamment précises pour que Kepler s'aperçoive rapidement que les orbites circulaires ne rendent pas exactement compte des observations : il comprend, que celles-ci sont en fait des ellipses, dont le Soleil occupe un des deux foyers. C'est la première loi de Kepler.

 
La seconde loi, était plus difficile à comprendre à l'époque (Newton n'étant pas encore né) : En supposant que la vitesse des planètes est inversement proportionnelle à leur distance au Soleil ( V= a /R), il établit la loi suivante (appelée seconde loi de Kepler) : La ligne qui joint le Soleil à la planète balaie des surfaces égales en des temps égaux. Aujourd'hui, on interprète cela comme une conséquence de la conservation du moment cinétique. 

  

Dans ce dessin, le même intervalle de temps sépare les positions (a,b), (c,d) et (e,f). Les trois zones en grisées ont une surface égale.

 

Enfin, la troisième loi de Kepler, qui comme le montrera Newton, n'est qu'approximative : le carré de la période de révolution divisé par le cube de la distance de la planète au soleil, est une constante. Elle est la même pour toutes les planètes ( T2/R3 = constante).

 

Ces trois lois, que l'on peut considérer comme la synthèse de l'oeuvre scientifique de Kepler devront être retrouvées en première approximation par toute théorie cohérente de la gravitation. C'est ce que fera Newton plus tard, en corrigeant même la troisième loi.

 

Les lois de Kepler donnaient des résultats tellement précis pour l'époque, qu'en 1601, l'empereur Rodolphe II demanda à Tycho Brahe et à Kepler d'établr de nouvelles tables astronomiques, appelées tables Rudolphines. Sur la base des observations de Tycho Brahe, du modèle de système solaire de Copernic, et des trois lois de Kepler, ces tables virent le jour enfin en 1627, 26 ans après la mort de Tycho Brahe. Leur précision fut démontrée de façon éclatante en 1631, 3 ans après la mort de Kepler, quand , le 7 novembre, selon les prédictions des tables Rudolphines, l'astronome Pierre Gassendi fut le premier de l?histoire à observer Mercure passer devant le Soleil en suivant de manière exacte les positions données par tables Rudolphines.

 

En dépit de la formidable avancée faite par Kepler, ces trois lois ne concernent que les relations entre les paramètres de position et de vitesse des astres dans leur mouvement, mais ne renseignent en rien sur leur origine. Kepler s'étant penché sur ce problème avait anticipé, sans pouvoir l'établir, la notion de gravitation : il était convaincu qu'une force d'attraction mutuelle s'exerçait entre tous les corps. Il attribuait son origine à des propriétés magnétiques des corps célestes (seule force connue à l'époque capable d'attirer deux objets). En toutre ces forces devaient se propager instantanément, comme la lumière. La gravitation newtonienne ne diffère que peu de ce qu'avait anticipé Kepler !

 

Tout cela ne fera cependant pas basculer le système de Ptolémée. Kepler et Copernic proposent un système "mécanique " autre, mais ne livrent pas une vision fondamentalement différente : l'univers est toujours divisé en deux mondes, et ses lois sont encore de nature presque mystique. La physique de l'époque garde des qualités occultes, et se trouve encore à la frontière de la théologie et du mysticisme.